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Patrick LORENZINI
La poésie comme un miracle
«
Mon dernier poème, je n’aurai peut-être pas le temps de l’écrire
» (1)…
A l’âge où il rédige cela, il a encore tant de pages blanches devant lui. Mais,
en 1942, qui saurait dire seulement combien de temps le temps durera ? Alors,
haletant, farouche, le voilà qui, du haut de ses dix-neuf ans, passe par-dessus bord
toute l’œuvre future que la guerre ne lui laissera «
peut-être »
pas le temps
d’accomplir. Rage et urgence. Sauve-qui-peut :
«
Je ne suis pas un comptable. Je ne suis pas un artiste non plus. Elle ne sera pas
jolie, ma chanson. On n’en voudra pas dans les salons, ni chez les libraires, ni
chez les marchands de musique
. » (2)
C’est à Manosque, sous le vent du lyrisme gionesque, que la revue
Toutes
Aures
a fait connaître, un an plus tôt, les tout premiers essais versifiés du petit
Toulonnais. Thyde Monnier, qui en assure la préface (un brin maternaliste),
affirme aimer leur «
ardeur à vivre, tantôt réaliste, tantôt romantique
»…
A rebrousse-durance, la revue Confluences dirigée, à Lyon, par René
Tavernier, arraisonne ce rugueux Bateau Ivre qui ne demande qu’à voguer. A
pas même vingt ans sonnés, Jean Rambaud accède ainsi au seuil de la
notoriété. Il figure en tout cas, avec Aragon, Alain Borne, Pierre Seghers, Jean
Tortel ou Toursky, parmi les « Quarante poètes » de futur renom que le
premier Cahier de la Renaissance Française rassemble dès 1942.
La saison a beau s’attarder en enfer, Rambaud parie sur «
le miracle immense
de la vie
».
Trois ans plus tard, il confie à Tavernier le soin de publier son
premier recueil complet : « Convoi ». Parce qu’en écriture comme en patrie
occupée arrive toujours une heure où l’on doit choisir son camp :
«
Jusqu’à midi j’ai lutté
avec mon arme de mi-carême
avec mes larmes pas très pures, avec les hoquets
de mes rires, avec l’impuissance de mes poèmes.
» (3)
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