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saisir le cheminement. Les deux premiers poèmes, après l’art poétique
initial, sont des chants d’amour qui s’inscrivent dans le sillage du
premier recueil de 1932 et dans la filiation de l’
éros
surréaliste, alors
que les deux suivants intitulés « Ailleurs » révèlent une brusque
mutation, l’inspiration, le registre, la polyphonie et l’esthétique
appelant un autre type de lecture sinon de représentation et de mise
en œuvre. Notre hypothèse sera que ce bref recueil opère un tournant
entre une poésie lyrique qu’il s’agirait d’abandonner et un nouveau
mode de parole poétique et politique appelant à « changer la vie »
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.
Les premiers textes :
Des poèmes d’amour dans la mouvance surréaliste
«
Poétique ou Cinématique ». Un manifeste crypté
Le texte inaugural adopte le registre pamphlétaire, interpellant
un allocutaire fictif, adversaire qu’il évite bien de nommer : « que
vous
le vouliez ou non », «
votre
paravent du vide ». Le ton est provocateur,
puisqu’on feint de haïr ce qu’on offre au lecteur (« A bas la poésie »),
dans une langue proche de l’oral, parfois familière (« pouah ! »), et
sans craindre les paradoxes : « La poésie est actuellement silence, c’est
pourquoi je parle ». Or, les seules références claires sont Rimbaud et
Lautréamont, ces figures de rebelles en qui Breton avait su voir les
pères fondateurs de la modernité – et nous retrouverons bien un peu
plus loin la trace de « Voyelles » ou d
Illuminations
,
et celle des
Chants
de Maldoror
,
plus oblique, avec une allusion possible au héros qui
pratique l’art de la métamorphose et du masque, le ton à la fois exalté
et désinvolte qui marque ce manifeste lui-même, et l’humour qui
permet de rapprocher poésie, cinéma burlesque (les Marx Brothers)
et Michaux (celui de
Voyage en grande Garabagne
ou de
Plume
)
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.
Pour autant, le message n’est pas très explicite. Qui vitupère
Pierre Caminade ? Les tenants d’une poésie lyrique et sentimentale,
sans doute, à moins qu’il ne s’agisse de ceux qui se désespèrent et
choisissent le silence :
A bas les nostalgies, les désespoirs, les séparations, l’angoisse,
la rétention lacrymale (…)
Seraient aussi visés les surréalistes, qui avaient pratiqué les