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«
rêves », et le Michaux de
La nuit remue
,
avec le refus du « sommeil »
ou de « la vie intra-utérine ». Il se dresse encore contre les recherches
formelles coupées du monde réel, comme celles de Mallarmé (« la
poésie, votre paravent du vide »), puisqu’il présente la poésie comme
«
la décomposition de l’art », rappelant la façon dont Rimbaud, dans
le prologue d’
Une Saison en enfer
,
blasphémait contre la Beauté.
Si le message est brouillé, c’est d’abord parce qu’il convient aux
deux moments d’un recueil hétérogène : l’exaltation de l’amour
annonce « Le double du baiser » et « Racines de terre », tandis que
celle de la modernité, de
la recherche
,
de
l’avenir
,
semble mieux se
rapporter aux deux poèmes intitulés « Ailleurs » ; ensuite parce que la
censure veille et qu’il peut être bon de la prévenir par un écrit de
contrebande ou encore pour le plaisir d’un jeu où l’humour aurait sa
part. Plusieurs indices sèment en effet le trouble dans l’esprit du
lecteur. Le ton pamphlétaire implique une adhésion du scripteur à son
propos, quand l’humour introduit une distance, un détachement : ce
registre anachronique des avant-gardes triomphantes n’est pas exempt
d’une légère autodérision, en ces temps où la discrétion et la modestie
semblent plus appropriées. Autre indication ambiguë : si ce recueil se
donne comme l’œuvre « d’un couple », n’est-ce pas pour cacher, sinon
l’ambition que la poésie soit « faite par tous »
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,
au moins l’ambition
politique d’une parole adressée à tous, qui pourrait alarmer la censure ?
Comment comprendre ensuite cette « cinématique », terme qui
désigne
la science du mouvement
,
étrangement accolé à la « poésie » ?
Enfin et surtout, que signifie « l’intime » exalté par ce manifeste ? Est-
ce l’amour, ouvertement revendiqué par ailleurs, une réalité
neuronale, ou encore la texture de la matière et du cosmos ? Et que
sont le « réel », « le moderne », ces « mythes à venir », ou « la
recherche » ? Parle-t-on d’écriture ou de science, de poésie ou de
société, de programme littéraire ou d’ambition politique ? Autant
d’énigmes laissées en suspens, que le recueil va dévoiler peu à peu.
Mais d’abord, place à l’amour.
«
Le double du baiser ». Un poème d’amour fervent
Comme dans
Se surprendre mortel
(1931),
ce poème chante
l’amour pour l’aimée dont les lèvres l’enflamment depuis le jour de
leur rencontre, moment de véritable naissance dans le désir partagé.
Or, après une ouverture discrètement narrative, le temps va