Page 30 - Mise en page 1

Mais le plus amusant restait de partir à ces fêtes du livre en campagne où
l’on est toujours bien accueilli par les organisateurs mais où les visiteurs
sont excessivement rares.
Outre ses bavardages, entre l’attente du repas et celle du départ, mon ami
Rambaud sortait de ses poches des bouts de papier couverts d’écriture en
tous sens qu’il prétendait des rendez-vous importants ou des corrections
à ne pas égarer. Il les étudiait distraitement, les griffonnait un peu plus et
les remettait en poche l’air absent… Nos amis Jean Max-Tixier et Alain
Gérard, compagnons de gloire et d’infortune, venaient nous encourager et
quand l’un de nous, ayant réussi à vendre un livre le matin, avait la chance
d’en vendre un autre l’après-midi, il s’écriait triomphalement : « Ça y est
les copains, il a doublé ses ventes !» Et Jean riait de bon cœur, promenait
son grand sourire d’enfant dans l’assistance, toujours pressé de partir mais
n’en finissant jamais. Un jour c’était à Saint-Cyr, nous avons cherché
pendant une heure notre voiture garée au diable. Jean qui me suivait tout
essoufflémedisait : « J’espèreque tuconnais l’heuredudernier trainpourToulon ! »
Malheureusement il eut une triste fin de vie. Sa vue baissait inexorablement,
bientôt il lui fut impossible de lire et d’écrire. Il préparait un ultime roman
qui ne vit jamais le jour et ne parvenait pas à en corriger les épreuves. Il
se montrait réticent, comme on le lui conseillait, à utiliser les nouvelles
techniques des ordinateurs pour les mal voyants. Je ne peux écrire, nous
confiait-il, qu’un stylo à la main et une feuille de papier devant moi.
C’est sans doute là la véritable noblesse de l’écrivain et Jean Rambaud
n’en manquait pas.
29