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tout cas, imagination en marche ou strict respect du «vu et vérifié», la
fièvre était la même, la foi était la même, la rigueur était la même. Fièvre,
foi, rigueur : le journaliste Jean Rambaud était reconnu, apprécié pour
cela. À telle enseigne que pour répondre au désir des lecteurs, une maison
d’édition, Edisud, d’Aix-en-Provence, publia en 1981, un recueil
d’articles, sous le titre « En Provence avec
Le Monde
».
Le succès fut tel
qu’un second volume parut en 1984.
Les relire aujourd’hui est riche d’enseignements. La Provence qu’il décrit
n’est pas celle des plages fleurant bon l’huile solaire et les beignets
huileux, pas celle des boutiques « d’artisanat d’art » importé de Taiwan,
pas celle des « people » en vacances tropéziennes ou lubéronesques, pas
celle des galéjades, pagnolades, et autres blagues pour « étrangers ». Non,
sa Provence à lui c’était la Provence, que l’on qualifierait volontiers
d’«authentique», si le mot n’était odieusement galvaudé… Disons la
Provence qu’il voulait éternelle et donc à faire aimer pour mieux la préserver.
Dans un texte, intitulé « Entre Lure et Lubéron : casser du cliché » (1), il
dresse la liste des sites qu’il vénère, des édifices
«
bâtis de-ci de-là,
merveilles d’harmonie simple sorties des mains des gens du plateau comme
en Grèce les temples »
Et il écrit ceci qui dit tout de sa démarche générale
et de son amour particulier pour cette Provence si éloignée de la mer :
« (…)
il est un point fort que les guides ne peuvent pas montrer. Il est
«
dans l’air ». Il détient le secret de l’élégance forte, de l’équilibre, de la
beauté de ces villages perchés, de ces bastides, bergeries, pigeonniers,
chapelles-granges, cabanons-temples que l’on vous énumère, tout comme
les plus humbles objets usuels dont bien des fermes sont encore riches.
(…)
Dans ce pays longtemps à l’écart, dans une autarcie maigre, il fallait
tout faire par soi-même. On a tout fait avec ce que l’on avait sous la main,
c’est-à-dire pas grand chose. On a bâti avec la pierre sèche, taillé le bois,
tourné la terre, battu un peu de fer, tressé le seigle pauvre et la ronce
hargneuse. La nécessité, la pauvreté ont fait des mains d’or et des têtes
inventives. Après quoi, dans ce pays, entre terre et ciel nus où la poésie
naturelle est installée chez elle, le ciel sans doute a fait le reste. D’un « art
premier » a surgi l’art ».
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