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Tout semble donc relever d’une « cinématique » : l’objet perçu,
entrevu dans les élans et les phases du désir et de la jouissance ; la
perception, avec les effets de grossissement qui produisent d’étranges
distorsions (comme ces « yeux des lézards ») ou de perspectives
changées par la giration des corps ; le passage de l’
éros
physique à la
jouissance des mots qu’il suscite ; le mouvement des images elles-
mêmes, qui glissent de l’une à l’autre comme par des « taupinières »,
par des canaux obscurs et « nocturnes », selon des associations de sens
(
des soleils aux « tresses des étoiles » puis au « spectre », ou des
«
lianes » à « l’araignée » et des « tresses » à la « chevelure ») ou de
sonorités (
lèvres /lièvres, roseaux /roseraies, lèvres/rêves
).
«
Racines de terre ». De l’exaltation au murmure de l’intime
Le poème suivant, « Racines de terre », présente des caractères
voisins, avec en particulier des anaphores encore plus obsédantes, et
une structure qui évoque une chanson avec le jeu des refrains
introduits par « Plus haut » dans les strophes 3, 5, 7, 9, avant la belle
chute finale.
C’est à nouveau un chant d’amour et de célébration de la
femme aimée (« Plus haut, plus haut encore mon étreinte, / Plus haut,
plus haut ma joie, /…/ Toi »), où l’interpellation fait surgir l’autre
comme présence mystérieuse, opaque, qui n’a de visage que pour le
poète, dans l’instant où il parle.
Les métaphores ou les comparatifs suggèrent cependant un corps
dilaté, un paysage à dominante végétale, sans qu’on sache avec certitude
s’il renvoie vraiment à la destinataire ou s’il n’exprime pas plutôt une
expérience amoureuse, sensuelle, érotique, celle d’un enfouissement qui
suscite un effet paradoxal de surrection :
racines, aubépines, sapin,
lierres, forêt,
autant de
racines de terre
qui se nourrissent du sol, puisent
leur substance et leur énergie au plus profond, se déploient en rhizomes
avant d’être propulsées vers la lumière.
La dynamique ascendante de cette passion physique exerce
une action libératrice, les chaînes sont « brisées », le poète sort de
l’enfance pour naître à lui-même (« Brisées mon enfance et mon
identité »), jusqu’à ce que l’ivresse prenne fin, comme par un effet
d’épuisement érotique :
Plus haut, plus haut, tout bas,
Tout bat.