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Par cette chute qui interrompt la litanie et les anaphores
exaltées, l’euphorie fait place au murmure de tendresse (« tout bas »),
et le silence restauré permet d’entendre la respiration ou les
battements de cœur des amants, mais aussi le souffle ténu de la vie,
comme une promesse panthéiste (« Tout bat »).
Tel est donc ce premier moment du recueil dominé par l’
éros
et l’hymne à la femme et à l’amour, comme chez Breton ou Eluard,
avec des procédés assez proches, l’anaphore surtout, et des
accumulations de métaphores surprenantes, même si l’amour ne
débouche pas sur un quelconque surréel, sinon peut-être le corps de
la femme transfiguré par le désir. Les textes suivants vont confirmer
le passage, embryonnaire dans « Racines de terre », de l’horizon trop
étroit du couple à celui de tous, et de la célébration d’un seul être à la
recherche d’une inspiration plus universelle.
Inventer un nouveau lyrisme : « Ailleurs. Poème-opéra »
A quel merveilleux se raccrocher ?
Le texte liminaire le disait, « Ailleurs » le répète, il faut
échapper à « l’angoisse », mais par quelles ressources en ces années
d’Occupation ? L’
éros
surréaliste n’est plus guère de mise ou écarte
trop une dimension collective devenue nécessaire. L’espérance
politique, donc, mais sous quelle forme ? Endosser le rôle de poète
national à la manière d’Aragon pour célébrer la France comme femme
aimée n’est guère envisageable quand on sait, comme l’ancien
trotskiste Pierre Caminade, que cette posture a été décidée par Staline
et par l’Union Internationale des Ecrivains révolutionnaires aux ordres
de Moscou. Comment faire alors pour sortir du moi et aller vers un
«
ailleurs » riche de promesses ?
D’abord, puisque la réponse baudelairienne à la soif d’ « In-
connu » est trop désespérée
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,
il faut bien revenir à Rimbaud, moins
celui des
Illuminations
avec leur rêve « opératique » (qui gardait
encore la fascination pour les métropoles modernes), que celui de
«
Voyelles », qui voulait allier la féerie de la lumière physique, les
couleurs et les sons, c’est-à-dire une poésie scientifique qui ferait
retour au cosmos, par-delà les aléas de l’histoire des hommes. C’est
donc du côté de la science qu’il faut se tourner
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