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Un « poème philosophique ».
Nouer la physique à l’érotique et à la politique
L’ambition d’une poésie réflexive est clairement assumée :
«
On va voir si la conscience de l’opération s’oppose à l’inspiration ».
Le questionnement scientifique sur la structure de la lumière telle que
la décrit la physique des particules serait-il à même d’alimenter un
nouveau lyrisme? Le mystère de la matière que la science fait reculer
constitue, dans sa nouveauté radicale, une source de dépaysement
total, un « ailleurs » qui nourrit une méditation sur l’espace et le
temps. Pierre Caminade va donc renouer avec la grande tradition de
Lucrèce, grâce aux découvertes du XX
e
siècle (Niels Bohr, 1913). Mais
à la place du
clinamen
,
il va poser comme principe universel l’
éros
,
l’attraction, devançant la publication du grand poème cosmologique
de Ponge, « Le Soleil placé en abîme » (1928-1954).
Partant de la lumière nocturne, comme il sied en 1941, il médite
sur les étoiles et sur la façon dont les « corps captent » leur
rayonnement, et s’émerveille devant les couleurs du spectre qu’il
associe comme Rimbaud aux voyelles, c’est-à-dire au langage, aux sons
et aux mots du poème :
Sin, sin, sin, vert-orange-vert.
Des infra aux ultra
Violet ou rouge ou vert
Ou sol ou fa.
Cette strophe rappelle « Les Fenêtres » d’Apollinaire (qui
faisait écho à la série de toiles quasi abstraites peintes par Delaunay
en 1912, sur la lumière décomposée par les jeux prismatiques
des reflets), et « Voyelles» de Rimbaud, surtout son dernier vers
O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux »), mais sur un registre léger
de chanson ou de comptine enfantine, que va poursuivre l’évocation
du chant du rossignol, des danses et des parades amoureuses.
Le poète s’émerveille alors devant le terme qui rend compte de
la manière dont les atomes perdent ou gagnent des électrons et les
chargent électriquement, c’est-à-dire l’
ionisation
.
Ce mot ouvre la voie
à une nouvelle rêverie sur le désir et l’amour comme loi d’attraction
à distance, baptisée « la radioactivité du désir », au prix d’un
déplacement dans l’usage du terme. Toute une série d’alliances de
mots ou de néologismes va ainsi sceller la fusion de la physique des