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corpuscules ou du rayonnement et de l’
éros
: «
phosphèmes de désirs »,
«
les corps captent les gammes de l’amour », « les fièvres des rayons ».
Le désir devient ainsi la grande force motrice de l’univers, dans
l’infiniment grand des
novae
,
des
nébuleuses
ou des
naines rouges
(
dont l’appellation en astronomie est déjà une personnification)
comme à l’échelle de l’infiniment petit, des atomes ou des électrons,
et la rêverie du poète épouse tour à tour la pente des « deux infinis »
pascaliens, mais dans une vision païenne, panthéiste et hédoniste qui
culmine avec la proclamation du « jouir ionisé » (clin d’œil amusé,
peut-être, à la « Maison du jouir» de Gauguin)
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.
Lyrisme et humour
Cette exploration des ressources nouvelles que la science offre
à la poésie permet le lyrisme enthousiaste (« L’avenir s’envole comme
une aubépine, / Ses lèvres comme un tournesol »), mais implique
aussi, en contrepoint, une réflexion critique ou une interrogation,
signalée par le passage à la prose avec parfois des parenthèses non
dénuées d’humour : ainsi, une incise (« je ris ironiquement ») tempère
l’ambition excessive d’accéder à « un poème philosophique » ; une
note sur un manuel de Sciences physiques, le Cuvillier, donne la clé de
ce savoir de néophyte ; un jeu de mots à la manière de Prévert ou du
Ponge d’après-guerre personnifie
le temps
que le poète
tient
et
caresse
,
jusqu’à en faire, par ce geste d’appropriation et de tendresse, « un chat » ;
enfin la séance de couture et de pose métamorphose le concept
scientifique en
modèle
,
aux deux sens du mot, comme matrice pour
penser l’univers et comme essayeuse que le poète amoureux fait
pivoter et virevolter pour mieux aviver son désir :
Viens, IONISE, tourne, mannequin,
Je veux faire l’amour avec toi,
Non, pas comme ça, le bras, oui, parfait,
Penchez et souriez la tête, les reins,
Ah ! les reins.
Du poème à l’opéra révolutionnaire
Cette alternance, dont on pourrait montrer qu’elle structure
tout le poème, ordonne une distribution entre deux voix du poète, celui
qui cherche et s’interroge, recourt aux données de la physique,