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commente sa quête ou prend le recul de l’humoriste, et le sujet lyrique
qui cède promptement à la rêverie et à l’enthousiasme. A ces deux voix
décalées s’ajoute parfois une troisième, les citations savantes d’un
manuel, placées en retrait par une justification spécifique, avant que
cette polyphonie ne débouche sur des exercices phonétiques proches
de vocalises :
Femme-homme-hom-fem me o h m…
I… O… NI… SE…
(
I rouge… Ah !)
Je hurle détachant syllabes et voyelles
L’écho ?
Le poète passe ainsi de l’écriture à un exercice oral, vocal, de
décomposition des syllabes (on glisse des
phosphèmes
aux phonèmes),
comme un acteur ou un chanteur dans sa loge, à moins qu’il ne feigne
de raisonner en linguiste (« Ailleurs, la double l mouillée/…/ Et la
finale en eurs »)
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.
La quête est donc aussi phonique ou phonétique,
jusqu’au cri et au « hurlement », qui rappelle l’
Ursynphonie
du
dadaïste Kurt Schwitters et annonce surtout les lettristes. Puis l’espace
du poème, déjà occupé par le corps du récitant, devient théâtre, avec
le mime (du mannequin), les danses et le chant, et à la fin du poème,
d’une façon abrupte, une didascalie annonce la venue d’une foule de
manifestants ou de révolutionnaires sur le point d’envahir la scène,
comme si on passait soudain à un drame de Brecht ou à un opéra de
Meyerhold
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:
Ici, on entend une foule disciplinée en marche,
ou un train-express (de l’intérieur)
ou une centrale électrique,
Sur la musique finale d’El cancion del agrarista,
Elle scande
ailleurs
.
Ainsi, la quête d’une source d’espérance, qui a cru trouver son
objet dans la science, puis dans un
éros
panthéiste, guidée par un défilé
d’images mentales (le train
de l’intérieur
),
se poursuit par un travail
sur les sons et les couleurs qui fait surgir la musique, la danse, le
théâtre, et trouve son aboutissement dans le rêve de liberté de
travailleurs porté par l’hymne révolutionnaire catalan. Voilà donc
réunis, dans un collage audacieux, physique des particules, cosmos,
éros
,
langue, chant, espérance collective, le titre du poème se trouvant
justifié par le cri de la foule, qui lui confère bien un caractère