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émerveillé Dali, qui a, par sa méthode paranoïaque critique,
transformé les deux paysans recueillis en statues géantes plantées dans
un paysage désertique surplombant des humains minuscules
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.
C’est
dire à quel point ces références sont codées en fonction de l’imaginaire
surréaliste.
Certes, le poète prétend qu’il s’agit d’illustrer un thème général,
«
l’entrée de la femme dans l’histoire », mais c’est un propos trop
académique pour être crédible, à moins de savourer quelque ironie
dans l’intervention de dieux pour sauver une femme du viol ou du
meurtre, chez Rubens, puis, chez La Tour, dans les réprimandes de
cette matrone sévère dont la masse écrase le pauvre Job
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.
La fin du
texte ordonne d’ailleurs la superposition d’un mime et d’une scène
jouée, censés illustrer en même temps deux tableaux de Rubens,
comme pour mieux brouiller les cartes en mêlant image religieuse de
renoncement (ou de jouissance, si l’on songe à Bataille) et
théâtralisation spectaculaire du désir de la chair inséparable d’une
pulsion sadique
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.
Nous préférons pour notre part percevoir un autre message
subliminal destiné aux spectateurs. Le rêve d’abord. Ainsi, ces œuvres
d’art dégénéré
(
comme disaient en 1941 les nazis), que sont la gravure
de Félicien Rops ou les tableaux surréalistes, installent une
atmosphère étrange et décadente, comme « La Métamorphose de
Narcisse » de Dali, avec le clivage et la pétrification qui menace celui
qui reste indifférent à l’appel des nymphes, ou « La ville entière » de
Max Ernst, qui dresse l’image morne d’un paysage minéral, d’une
mesa
sur laquelle semblent surgir les ruines d’une ville pétrifiée,
surplombée par une lune énorme, tel un hymne à la nuit.
A l’inverse, plusieurs tableaux mettent en scène l’
Eros
,
sur
divers modes : aimable, il remédierait à la mélancolie de Narcisse,
puisqu’à l’arrière-plan danse un groupe de jeunes gens et de jeunes
filles nus aux gestes élégants et souples, dans la manière italienne de
la Renaissance ; coupable et désirable, il exprime la honte mêlée d’une
rêverie nostalgique chez la jeune fille peinte par Greuze, dont le geste
pudique suggère la perte délicieuse de sa puberté ; mystérieux dans
«
La Carmagnole de l’amour » de Max Ernst, où une femme ardente,
nue, blême comme une statue, s’offre à un homme emprisonné dans
une sorte d’armure, il suggère les fortes résistances intérieures qui
empêchent de s’abandonner à la passion, et le moyen de les vaincre (le
viol du guerrier par la femme ?) ; libéré mais violent, il atteindrait à la