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démesure d’un érotisme échevelé dans les deux toiles de Rubens,
«
Minerve et Hercule repoussent Mars prêt à tuer une femme », dont
les corps puissants sont animés de mouvements de torsion, et « Le
martyre de sainte Ursule et des
onze mille vierges
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»,
où s’accumulent
des myriades de corps de jeunes filles à peine vêtues, au pied de
l’héroïne qui offre son sein à l’épée du guerrier.
Ce programme iconographique confirme donc bien le message
véhiculé par les textes d’Aragon sur les pouvoirs de l’amour et du rêve,
avec une inflexion marquée sur la pulsion sauvage prête à surgir au
cœur du désir, sur la proximité d’Eros et de Thanatos, selon une vision
bien plus proche de Bataille que l’érotisme assez sage des premiers
poèmes du recueil. Il s’inscrit dans la lignée des surréalistes pour qui
le rôle de l’art est de nous révéler le contenu de l’inconscient et de nous
aider à surmonter le refoulement
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.
Mais la confidentialité de ces
œuvres rend le message codé, voire indéchiffrable, pour le lecteur de
1941,
comme pour le censeur.
Spectacle, mimodrame, hypnose collective, happening ?
Un genre inédit
Le medium utilisé, cet étrange spectacle, devrait être à même
d’agir sur le subconscient du public plongé dans l’obscurité et baigné
dans un flot de musique. L’ombre crépusculaire qui gagne le parc
exerce son pouvoir sur la foule ; on peut songer aux tableaux nocturnes
de Delvaux ou de Magritte, dominés par la lune (figurée ici sur la toile
de fond empruntée à Max Ernst), avec leurs personnages spectraux
impersonnels, délestés de toute identité sociale, comme prêts à se
laisser porter par le magnétisme invisible du désir.
Se met alors en place la dynamique d’un spectacle féerique qui
éveille les participants, les fait passer de la torpeur au jeu (comme dans
le château de la Belle au bois dormant), de la passivité de la foule à son
entrée en scène, de la parole à la musique et au chœur, selon un
mouvement insensible, comparable au « fondu enchaîné sonore au
cinéma » (comme dit le prologue), qui croît jusqu’au « paroxysme ».
La polyphonie babélienne mise en place au début doit donner
un sentiment concret, immédiat, de fraternité européenne par-delà la
guerre et l’Occupation, puisque les langues des adversaires ou des
belligérants sont réunies dans un rêve commun d’ « ailleurs ». La voix
puissante qui s’élève ensuite doit surprendre et captiver, et ce qu’elle