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dit, dans cette langue poétique, déclamée et enthousiaste, s’adresse
moins à l’intellect qu’à l’affect, à la raison qu’à l’imagination, comme
le finale de la Symphonie de Beethoven qui lui sert de fond sonore. Elle
rend les esprits disponibles pour le surgissement d’apparitions
étranges.
C’est alors le défilé d’images picturales sur des supports
différents, qui vise à faire passer d’une fascination intime (des
adolescents costumés distribuant à chacun des cartes postales qui
luisent dans l’ombre) à un étonnement collectif et silencieux (le
mimodrame
muet qui transforme des rêves de peintres en réalité
corporelle palpable), avant de faire naître une mélancolie prenante,
si les acteurs jouent le « Narcisse » de Dali, ou la frénésie d’une
sarabande ou d’une « Carmagnole » collective, si l’on imagine qu’ils
se laissent emporter par les Bacchanales de Rubens ou par l’élan
érotique de Max Ernst. Le passage de la vision encore passive des
tableaux à leur animation par le mime puis par le théâtre, comme si
les rêves prenaient corps, veut faire entrer l’imaginaire dans la réalité
tangible.
Le chant choral soude une communauté dans un rêve partagé,
ses participants étant conviés à se rapprocher dans l’ombre... Le public
serait ainsi conduit, comme par hypnose, à s’abandonner aux forces
du désir promues nouveau vecteur de socialité, apte à transcender les
identités
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.
Le parc, qui tenait lieu d’
agora
quasi clandestine, sert ainsi de
cadre à l’avènement d’une conscience individuelle et collective,
poétique et politique, dans la célébration de l’amour et du verbe,
censée arracher le sujet à son aliénation ou à son refoulement et
l’ouvrir à l’horizon de « la vraie vie ».
Se souvenant peut-être des expériences de Brecht, Copeau ou
Vitrac, ce projet préfigure surtout le mouvement situationniste des
années 56-70, moins ses « Scandales », par trop violents, que sa
tentative de construire des
situations
pour susciter une
dérive
favorable aux rencontres aléatoires dans des espaces ouverts
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,
entreprise dont les effets contribueront pour une large part à mai 68
et à des interventions artistiques comme celles d’Ariane Mnouchkine
ou du Bread and Puppet peu après. Bien qu’il reste plus dans la
mouvance surréaliste par la référence à des œuvres emblématiques et
le primat accordé à la rêverie et à l’
éros
,
il vise, comme plus tard ces
mouvements et ces acteurs politiques et culturels, à construire une