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intervention collective qui, croisant les champs et les disciplines,
mobilisant la musique et les arts visuels, mêlant acteurs et public,
utilisant la langue poétique pour en tirer des mots d’ordre, travaille
sur l’imaginaire des sujets pour les inviter à vivre autrement.
Tel est donc l’étonnant parcours de ce bref recueil, dont le titre
n’évoque pas seulement l’amour (le « baiser »), mais aussi ce « double »
que serait l’autre objet du désir, la fraternité dans la révolte. Fidèle aux
surréalistes et au projet politique, il vise à « changer la vie », comme
Rimbaud, et à « transformer le monde », comme Marx, ce que voulait
déjà Breton en 1938 dans « Prière d’insérer pour
La Clé
»
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.
Mais
pour ce faire, il entrevoit une articulation entre les deux pôles, un
hédonisme révolutionnaire, inspiré, sinon de Wilhelm Reich, du
moins de Jean Legrand
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et, soucieux de toucher un public et d’agir ici
et maintenant, il imagine une méthode avec des dispositifs qui,
empruntant simultanément à tous les arts, recourant au langage
poétique pour exalter les pouvoirs du rêve et de l’inconscient,
produisent des ébauches d’opéras ou de spectacles qui annoncent ce
qu’on appellera plus tard
happenings
ou
performances
,
susceptibles
de mobiliser la jeunesse européenne dans un culte fervent de l’amour
et de l’utopie sociale.
En quelques pages, on passe ainsi de l’univers des surréalistes
des années 20-30 à l’anticipation des pratiques des situationnistes, et
ce, au moment le plus noir de l’Occupation ! Bien que son caractère
hétérogène, crypté, allusif et déconcertant ait voué ce recueil à passer
inaperçu, Pierre Caminade y est beaucoup plus moderne, plus inventif
et plus novateur que les poètes de la Résistance puisqu’il échappe aux
sirènes du patriotisme sans céder au défaitisme ni au désespoir. Son
rêve de poésie matérialiste devra attendre Ponge pour trouver sa
mesure, et son projet d’éveiller les foules au désir et à la révolte, les
années soixante et soixante-dix pour se réaliser.
1
Le double du baiser
,
in
Se surprendre mortel
,
Œuvre poétique complète, Le Castor astral,
2004,
p. 75 pour « La Poétique » et p. 90 pour « Ma vie à dix ans ».
2
Pour le contexte biographique, politique et culturel des années 33-41, on se reportera aux
articles de Pierre Caminade, « Le rayonnement de Jean Cocteau àMontpellier années trente »,
et de François Leperlier, « La Porte Brunet », in
Présence de Pierre Caminade
,
Var et Poésie