Page 28 - Mise en page 1

26
Valéry et Jean Legrand
9
.
La forme du poème provoque elle-même une
sensation érotique instantanée et forte. Le mot « mourir », répété, sert
de base à la construction des rimes embrassées du quatrain et, à
l’opposé, dans les deux derniers vers, les mots placés en tête avec leurs
deux syllabes terminées par /i/, suivis chaque fois par « les cris »
provoquent une scansion du rythme. « Les sauterelles » et « mon
mourir » sont ainsi mis en parallèle. En outre, les allitérations de /m/,
de /r/ et de /i/ qui traversent tout le poème contribuent à en faire un
espace petit, mais bien construit.
Les poèmes courts, lus en un instant, n’ont pas généralement
une grande sonorité. Pourtant, nous le voyons, Caminade a recherché
à la fois la sobriété formelle et la construction musicale. Il en est de
même du poème « Coquille ».
Silice, Si O2
Agrafe de sillons et de plis
Gravure de rayons et de vagues
Mont miniature impubère
J’aime fermant ma paume
Cette coquille quand tu marches.
Reliefs,
1967
Si les deux versets ont une construction différente, l’allitération
de /m/ dans le dernier vers du premier verset et dans le premier vers
du second sert de jointure sonore entre les deux. Examinons de plus
près le premier verset. Figure ici l’une des tendances des poèmes
courts : des noms juxtaposés qui laissent libre cours à l’ambiguïté du
sens et à une certaine liberté d’interprétation. Dans cet exemple, après
réflexion, le lecteur découvre que chaque vers se réfère à la coquille.
La « Silice », dont le symbole chimique est « Si O2 », est la matière de
la coquille. Non sans un grain d’humour, ce vers a une relation
synecdotique avec le sujet du poème. Les autres sont des métaphores
de la coquille. Il ne s’agit pas d’une qualification maniériste, ni d’une
dénomination arbitraire, mais plutôt de la perception sauvage et
immédiate de la couleur, de la forme et du toucher de la coquille
comme celle que ressent l’enfant jouant sur la plage. Le choix des mots
est de prime abord un peu déconcertant, mais, de fait, rationnel, car
on peut y reconnaître une relation analogique avec la coquille. De plus,
de la toute petite unité invisible désignée par le symbole chimique
jusqu’à l’image massive de la « montagne », les vers agrandissent
progressivement la vision de la coquille. Il en va de même de « Haï-