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dans un amoralisme qui est chez lui plus assuré et plus immédiat de se
fonder dans les sensations, les entrailles et les synthèses individuelles. On
pourrait même dire, après tant d’autres, que l’amoralisme constitue un des
critères généraux de la valeur humaine des œuvres d’art, si l’on n’oublie pas
que cet amoralisme doit être soumis à une critique plus générale et englobée
par elle, qui rejoint celle que nous avons faite de la dépersonnalisation […].
Or, l’être individuel vivant est une totalité, et il est la confluence des arts (il
doit l’être), il doit reconstituer le melon qui a été débité en tranches. Ne
dissimulons pas la difficulté de la tâche, mais les exigences de cet être
relègueront dans l’oubli des milliers de momies
12
.
Pour Pierre Caminade, la critique ne constitue en aucun cas un
passe-temps de dilettante mais se veut le prolongement de cette
réflexion dont il assume pleinement la radicalité. Une critique qui
opère la synthèse d’un regard, d’une pensée, d’une pratique éditoriale
liée à ses fonctions discrètes de commissaire d’expositions ainsi que
d’une expérience de plasticien menée avec Mic Lobry, autour de
«
Photos-poèmes » exposés à la galerie d’art du Faubourg Saint-
Honoré en avril 1962 :
Lumières et lumière
13
.
A cela s’ajoutent des
pratiques diversifiées – qui nourrissent des chroniques précises,
concises, argumentées, où le souci de la technique, de la matière, de la
touche et du trait est constant, – quelquefois déclinées en plusieurs
feuilletons. Heureuse époque où le formatage n’avait pas totalement
pris le pouvoir sur le rédactionnel. Ainsi, par exemple, voici un extrait
du compte-rendu du 10
e
Salon de Peintures de Sanary (
Le Petit Varois
à partir du 21 juillet 1958) où se retrouve la volonté de rendre compte
de l’événement mais aussi de témoigner de l’expérience concrète,
charnelle, visuelle de l’œuvre, de conjuguer à plusieurs niveaux l’image
et la sensation.
Mais les plus grands, et socialement reconnus comme tels, un Jacques Villon
et un Pignon, opèrent le passage de ce féminin et de ce masculin. Le portrait
de Jacques Villon, qui lui garde ses contours, s’impose par la solidité de son
assise, le relief de l’homme dans l’espace et par les mouvements que le
monde extérieur impose aussi bien à ses vêtements qu’à la chair du visage.
Le visage est pour lui une mosaïque terriblement géométrique qui se moque
des grandes lois de la peinture des valeurs, du modelé, du passage. Les deux
rectangles verts que Villon dessine sur le front de son personnage sont à
hurler parce qu’ils sont merveilleusement vrais. Il est de ceux qui comme le
Van Gogh et le Picasso des platanes, nous apprennent à voir, ainsi à mieux
aimer. Pignon est présent par une aquarelle où se confondent, mais d’une
manière toute différente faite d’assurance et de discrétion, ce sens du
mouvement par les courbes sombres des buissons, des troncs, des profils des
collines qui se succèdent et ce vouloir de stabilité par les terres brun-rouge